Juste quelques ani «mots»

« A comme animal » disait Deleuze, dans son abécédaire et « A comme artiste », ajoutons-nous. En cette quatrième saison involutive, nous revenons quelque peu à nos fondamentaux.

Pour comprendre un artiste, il faut entrer dans son monde. Idem, pour l'animal. La question déterminante étant celle du rapport à établir avec l'environnement pour en faire son propre monde.

On a toujours défini la bête par ce qui lui manque. On lui attribue toujours des définitions en négatif. L'animal est celui qui «n'a pas», celui à qui on a longtemps refusé à tort «parole, raison, expérience de la mort, deuil, culture, institution, technique, vêtement, mensonge, feinte de la feinte, effacement de la trace, don, rire, pleur, respect…».

Quant à l'homme, il est celui qui a. Mais quoi donc précisément, quel est ce propre de l'homme ? Comment redéfinir cette particularité qui le distinguerait de l'animal ? Cet animal que pourtant nous sommes. L'animal était là avant nous, est là près de nous, et sera encore là après nous. Il nous entoure. Et depuis ce poste, il se laisse regarder, sans doute, mais il peut, lui aussi, nous observer.

« La question n'est pas : peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? Mais : peuvent-ils souffrir ? » (J. Bentham). L'animal n'est pas mieux ou moins que nous, il est l'altérité absolue. Comme nous, les animaux sentent, souffrent, naissent, meurent et se reproduisent. Comme nous, ils se comprennent entre eux et nous font comprendre ce qu'ils ont « à dire », et pas seule­ment par leurs voix. Or, ce langage de l'animal qui me regarde ne me dit-il pas aussi : « Tu ne me tueras point » ? Centré sur lui-même, l'homme reste le plus souvent sourd à cet appel.

Notre rapport à l'animal est bien de l'ordre du pathologique, indéfendable donc dissimulé. Le questionner, le dévoiler, aurait pour conséquences vertigineuses d'exposer les valeurs et fondements économiques, éthiques, politiques, philosophiques, de la société humaine qui le met en place et le perpétue. Alors, que reste-t-il du propre de l'homme et du sale de l'animal ? La frontière aujourd'hui est de plus en plus ténue...

L'art peut-être ?

En ce qui concerne l'art, peut-on considérer qu'un oiseau-jardinier qui peint en bleu sa chambre nuptiale en branchages avec des baies nous dévoile les sources du sentiment esthétique ? Si le « propre de l'homme » n'est plus de rigueur ces dernières années à un point tel que l'on se demande s'il en existe un en dehors de notre imagination et de notre orgueil, comment penser cette différence entre notre espèce et toutes ces autres avec lesquelles nous partageons notre espace-temps ? Si l'homme bénéficie de cette singulière aptitude à se transcender lui-même et à se mettre à la place d'autrui, cette empathie devrait trouver l'une de ses plus éloquentes expressions dans le souci qu'elle peut prendre pour le respect de l'Autre, qu'il soit humain, animal, végétal ou minéral.

L'artiste est devenu, en ces jours de crise, l'objet d'une grande chasse brutale et donc espèce à protéger. Voilà pourquoi, nous avons constitué un bestiaire particulier pour cette saison et nous aimerions que vous le visitiez avec toute l'ouverture nécessaire à cette confrontation : couleurs, chants, postures, les trois bases de l'art à l'état pur.

Le regard de l'artiste comme le regard de l'animal, nous met à nu, il nous questionne sur nos fondements et nos limites. Il interroge constamment notre statut, notre identité, et témoi­gne aussi des incertitudes de plus en plus fortes quant à notre véritable nature. Alors tous à poil et sans honte ! Cette saison se veut fédératrice, sorte d'appel à tous ceux qui ne rangent pas, d'un côté l'Animal, de l'autre l'Homme, d'un côté la Scien­ce, de l'autre l'Art, d'un côté le philosophe et de l'autre le poète.

Monica Gomes et Fabien Dehasseler
Direction artistique
Bibliographie

À propos de la conception deleuzienne de l'animal artiste

– Gilles Deleuze et Félix Guattari, « L'art commence peut-être avec l'animal, du moins avec l'animal qui taille un territoire et fait une maison »
Qu'est-ce que la Philosophie, Paris, Éditions de Minuit, 1991
– Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977
– « A comme Animal », L'Abécédaire de Gilles Deleuze, réalisé par
Pierre-André Boutang, 1988
– Denis Viennet, « Animal, animalité, devenir-animal »,Le Portique, 23–24, 2009, http://leportique.revues.org/2454
𝄌

Sur les devenirs-animaux

– Gilles Deleuze, Félix Guattari,
Mille Plateaux, Paris,
Éditions de Minuit, 1980
– Jacques Derrida, L'animal que donc je suis, Paris, Galilée, 2006
𝄌

Concernant le droit animal

– Jeremy Bentham, Introduction
aux principes de morale et de législation
, Vrin, 2011