Wole Soyinka - Président de l’IIT
A tous les hommes et à toutes les femmes de théâtre, à tous ceux qui créent et qui se rejoignent dans et par le théâtre, à ceux que les œuvres dramatiques consolent, exhortent ou provoquent, j’adresse mes salutations et leur souhaite bon courage, à l’occasion de cette journée de tous les théâtres du monde, face aux défis qui nous assaillent en cette “ année nouvelle ”.
Et je voudrais d’emblée m’affronter à l’un de ces défis. Quelques-uns peut-être estimeront qu’il n’est pas le plus crucial – ils en invoqueront d’autres ,telles la famine, la maladie, la menace de l’anéantissement total, etc…, ils souligneront en plus les maigres ressources et la faiblesse potentielle den otre art pour les relever.
Peu de gens nieront qu’il s’agit là du scandale le plus criant de notre temps et que l’angoisse et la révolte des victimes ont enfin entamé la carapace d’indifférence dont se protégeait obstinément le monde. Je veux bien entendu parler du racisme et plus particulièrement de celui qui, en tant qu’instrument répressif de l’Etat, y a trouvé sa forme la plus achevée : l’Apartheid.
Le théâtre n’a pas manqué de réagir à cette injure de l’humanité, comme il l’a déjà fait pour d’autres. Les artitstes de nombreux pays ont décidé d’interdire la représentation de leurs œuvres et refusent toute participation personnelle dans cette réégion du monde où lEtat nie l’appartenance à l’humanité de la majorité de ses peuples. Quelques-uns ont utilisé les forfaits les plus notoires du régime de l’Apartheid comme thèmes de leurs œuvres afin de les dénoncer.
Les artistes restent conscients de la portée limitée de leur action et ne se nourrissent pas trop d’illusions quant à la capacité de l’art, quel qu’en soit son support, à reformer le monde et à restructurer la Société.
Pourtant, il n’est pas possible de mettre en doute que cette activité de l’homme a le pouvoir de mettre en lumière les nombreuses contradictions du monde contemporain, de réveiller la conscience de nos sociétés et de mobiliser ses membres pour un changement de celles-ci.
Et c’est cette prise de conscience des gens les plus divers – les jeunes, les enseignants, les travailleurs, les agriculteurs et même les hommes d’affaires etc… qui, tôt ou tard, permet de transmettre leurs objectifs aux responsables et aux gouvernements et peut influer, si subtilement que ce soit, leur politique. Cette évolution est particulièrement évidente ces deux ou trois dernières années et a permis de modifier, vis-à-vis de l’Apartheid, l’attitude de différents gouvernements.
Nous avons assisté à un revirement, tout au moins apparent, de l’opinion, y compris au sein des bastions les plus inexpugnables qui soutenaient l’arrogante provocation de l’Apartheid en Afrique du Sud.
Le rythme de cette érosion s’est accéléré. Et si la responsabilité de l’intensification de la lutte appartient en propre aux peuples opprimés, le monde extérieur se doit de conserver une conscience aiguë de l’enjeu, et ne peut se dérober au soutien moral et à l’affirmation solennelle de sa solidarité.
Nous proposons donc que les gens de théâtre du monde entier proclament cette année : Année du Théâtre Universel contre l’Apartheid. Il ne suffit plus de se tetnir passivement à l’écart de cette enclave raciste, mais les hommes et les femmes de théâtre doivent consacrer une part de leur génie créateur à faire prendre conscience de cette réalité à leurs peuples et à leurs autorités publiques, à forger un sentiment d’identification avec cette communauté violente.
Nous demandons instamment aux institutions, à tous ceux qui détiennent une autorité morale dans le monde, d’apporter un soutien sans réserve à cette action de solidarité, de reconnaître que la sécurité et la paix dans le monde ne peuvent être séparées de la libération de tous les hommes et de toutes les femmes, dans chacun des aspects de leur existence quotidienne et de garantir à chacun la libre disposition de son pouvoir de créateur au sein de la démarche commune de l’humanité tout entière.