Radu Beligan - ROUMANIE
On le sait : la dignité humaine a obtenu par le théâtre l'un de ses premiers témoignages. Un document imprescriptible sur sa lutte contre la violence et la sujétion. On le sait : avant tous les autres arts, c'est sur scène qu'on a pu voir, entendre et comprendre les choses de la conscience. Ce qui la construit et ce qui la propulse. Par la protestation, par la souffrance, par le besoin d'affirmer un sens, un équilibre au monde. On le sait : c'est au théâtre que l'homme a appris à se regarder soi-même. Avec sincérité, en face. Il y a appris à se scruter, à se culpabiliser, à s'assumer et à se dépasser. Et à communiquer avec ses semblables dans l'émotion, à démontrer qu'un homme, un seul homme est un univers entier, à prouver que le fait le plus insignifiant porte souvent en soi une immense charge dramatique.
Je pense à la rumeur, à la vibration, à la tension terribles de l'attente avant le lever du rideau, cette attente qui pousse littéralement le spectacle à démarrer, aujourd'hui aussi bien que quelques milliers d'années plus tôt. Je pense aux incidents qui nous paraissent mineurs dans la vie de chaque jour mais qui, une fois mis en scène prennent une dimension bouleversante. Une dimension que nous pressentons dans un simple chuchotement ou une ombre qui passe. Nous la saisissons en une seule question mais qui mobilise l'intelligence, la sensibilité et l'esprit créateur. A cet instant, les barrières qui séparaient les spectateurs entre eux tombent. La salle unie à la scène devient un monde solidaire. Une planète qui relie les nations entre elles avec des fils innombrables. A cet instant nous savons sans doute possible que par delà ce qui nous divise existent des points et des aspirations communes. Nous nous resituons dans la totalité à laquelle nous appartenons : la grande famille humaine confrontée à son devoir de coopération, confrontée à la nécessité de répondre aux problèmes qui assaillent le globe entier. A cet instant, nous ne nous laissons plus manoeuvrer, ni posséder, ni fouler. A cet instant, nous comprenons, nous participons, nous agissons. A cet instant, nous sommes nous-mêmes, pleinement nous-mêmes.
Et c'est un privilège. Un privilège que le théâtre partage avec les autres formes de culture.
Grâce à ce privilège, le théâtre a pu pressentir, appeler et accélérer certains éclaircissements porteurs de progrès. Grâce à lui, le théâtre a pu être présent à l'avant-garde de l'histoire. Et toujours grâce à lui, les peuples se sont ouverts les uns aux autres, en bâtissant des ponts et en rêvant ensemble à un monde meilleur et juste.
C'est cela la vocation du théâtre. Et c'est cela notre vocation d'homme. C'est pourquoi nous sommes ici. Et c'est pourquoi public et acteurs attendent ensemble le lever du rideau.