Pablo Neruda

Quelque part, à Montevideo ou bien à Caracas, j'ai vu “ Le Prix ” d'Arthur Miller. Cela m'a plu douloureusement. C'était un Tchékov dur, implacable, sans un sourire.

Je sortis du théâtre et le laissai derrière moi : je voulais oublier cette amère exactitude.

J'ai vu la même année à Paris, une pièce velue, cynique et sans retenue. Elle me plut par ses débordements, son électricité érotique, ses possibilités de rupture.

Je sortis du théâtre et vis avec tendresse les rues hivernales, les arbres immobiles, les occupations des hommes. Je laissai derrière moi cette violence du théâtre : j'oubliai bientôt le paroxysme prémédité.

Je crois qu'entre pareilles fluctuations oscille notre époque, entre la vérité qui nous laisse insatisfait et une espérance qui n'est pas encore exaucée.

Le théâtre a rompu la coque d'un énorme oeuf d'autruche : nous attendons assis, les hommes, du premier au dernier rang, que le nouvel oiseau se mette à courir, à voler.

L'absurde nous ennuie autant que les vieux feuilletons et le réalisme est mort de vieillesse. Attention ! Veillons à ce qu'il reste dans sa tombe !

Il est clair que les murailles se sont écroulées et que dans les sept îles des sept mers qui forment le monde, tous veulent construire, tous veulent connaître et reconnaître, tous nous voulons nous voir dans le théâtre tels que nous fûmes et tels que nous serons.

La poésie est mon pain de chaque jour : je ne suis qu'un poète du Chili, proche et distant de chacun de vous, hommes et femmes du théâtre mondial.

Je me hasarde cependant à penser à ce que nous aurons tous en commun : un théâtre simple mais non simpliste, critique sans être inhumain, un théâtre sans limitations qui avance comme un fleuve des Andes, imposant partout ses propres limites.