Miguel Angel Asturias

Où il y eut théâtre, des paroles restent : les paroles du dialogue de l'homme avec les dieux, de l'homme avec le monde, de l'homme avec l'homme. Les paroles d'un dialogue immortel. Le langage des siècles redevient, dans le théâtre, après de multiples vicissitudes, le moyen de communication avec les masses le plus humain, le plus direct, efficace et fécond. Liturgie, représentation sacrée, genèse de la création, genre littéraire, tout cela fut et demeure théâtre, c'est-à-dire pour les uns verbiage et illusion, pour les autres voie de perfectionnement des moeurs, magie, réalité et, pour tous, le rêve. Homme de cultures en cours de résurrection, de cultures d'une tradition théâtrale millénaire, comme la culture maya du Guatemala, j'évoque ici, non l'image des couteaux d'obsidienne élevant des coeurs jusqu'au soleil, mais les instants des grandes représentations du théâtre héroïque, les danses de la plume, du grelot et de la fumée que l'éternité a photographiée dans la pierre, les “ mitotes ”, ces frairies hallucinées de peuples entiers qui dansaient jours et semaines jusqu'à tomber d'épuisement et de sommeil.

C'est à partir de ce monde que je me hasarde, homme d'autres soleils, à adresser la parole aux créateurs, mécènes et spectateurs du miracle scénique, les invitant à se donner la main, non pour former des chaînes, mais pour lancer les ponts de la compréhension mutuelle.

Aux quatre horizons de la planète, les gens de théâtre, de tous les théâtres, effaceront à cet instant les frontières ; ils oublieront races, nationalités, croyances : ils uniront leurs volontés en faveur de la paix comme exigence suprême et unique en cette heure de conflits sans précédent.

Cette Septième Journée Mondiale du Théâtre, en cette année jubilaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, doit mobiliser toutes les consciences contre ceux qui proclament autant de fatalités inhérentes à notre espèce, la destruction de l'homme par l'homme en des guerres fratricides, les génocides et cette autre manière de décimer l'humanité que constitue l'asphyxie économique. Les feux de la rampe nulle part éteints. Au contraire, toutes les lumières du théâtre du monde scintillant comme des étoiles à la lueur desquelles se posent et se discutent en toutes langues, latitudes et scènes les problèmes de l'homme, sans oublier le problème capital de la survie de notre culture en face des redoutables arsenaux nucléaires.

Tant que cette menace subsistera, notre planète ne saurait passer pour un lieu sûr et mon cri d'alarme, sans interrompre la réunion de l'Institut International du Théâtre que célèbre aujourd'hui le monde entier, doit contribuer à faire en sorte que notre commune action évite que la terre ne se convertisse en sépulture avec, en guise d'épitaphe de notre univers, la simple mention : La Commedia é finita.