luchino Visconti

Il me semble que, d'un profond processus d'évolution, est née, désormais, dans le théâtre, une exigence de vérité et d'absolu qui peut le hausser à une valeur de témoignage d'un niveau semblable à celui des grandes époques. Si je pense, en effet, à l'histoire du théâtre dans ce siècle et dans le monde entier, je trouve que, à côté des théories, des poétiques, du développement, de la technologie, ce qui est arrivé au théâtre consiste en ceci : en un premier moment il a paru s'effacer et disparaître devant l'attaque massive des mass-média ; puis, après s'être interrogé sur sa réalité et sa vérité, il a fini par se retrouver lui-même. Il a émergé de son éclipse en retrouvant pleinement sa caractéristique fondamentale qui est d'être le lieu où se confrontent les valeurs et les rapports humains.

Les problèmes mêmes du théâtre - sa fragilité, son irréversibilité, cette particularité de la représentation théâtrale de n'être jamais égale à elle-même, le risque de détérioration auquel elle est exposée dès la “ première ” et qui m'enrage et m'angoisse et, par contraste, me fait songer avec soulagement à la version définitive et immuable du film - tout cela a justement fini par reconfirmer le théâtre (je suis d'accord en cela avec Camus) comme moyen humain par définition. Car s'il enregistre et exprime le changement et l'aspect provisoire de l'homme dans sa vie et son comportement quotidiens, le théâtre, au même moment, stimule en l'homme son aspiration à se dépasser. D'un côté, il montre notre vie dans ce qu'elle a de plus profond, de dangereux, de tragique et de mystérieux ; de l'autre, il en distille l'essence et donne, du mythe et de la légende de l'homme, une représentation chaque fois nouvelle dans un effort toujours nouveau de saisir, à travers la participation, le sens de l'existence.

Aujourd'hui, les autres moyens de communication, avec lesquels le théâtre, autrefois et à tort, a cru devoir rivaliser, se sont chargés en grande partie de tout ce qui est divertissement, passe-temps, évasion. Le théâtre en est resté dépouillé et a paru appauvri. Il en a été, au contraire, enrichi. Il a puisé de nouvelles forces. Elagué de ses temps faibles, le théâtre s'est remis - comme j'ai toujours cru que c'était là sa mission - à affronter les grands sujets d'importance vitale.

Car, si la découverte et la description de ce qui est exotique, merveilleux, multiple, sociologique, appartiennent désormais à d'autres arts et à d'autres techniques, voici ce qui appartient au théâtre : tout ce que signifie aujourd'hui être vivants ensemble, se réunir dans l'attente d'un événement essentiel, d'une espérance - thérapeutique, salut peut-être, certitude en tout cas d'un rapport essentiel et irréductible entre les hommes - attente aussi d'une mystérieuse transcendance.

C'est pour cela que dans le théâtre (devenu, comme l'a dit quelqu'un, catacombe) l'homme descend à la rencontre de lui-même et de son propre destin en mettant à l'essai ses croyances et ses émotions dans un jeu qui a la double puissance de la réalité et de l'imagination.

Le théâtre, qui semblait refoulé vers les bords, revient au centre de l'expérience collective.

C'est pourquoi le fait d'entrer aujourd'hui dans un théâtre est devenu un acte “ différent ”, signifie un choix, présuppose une attente rationnelle de clarté et d'absolu ; et ce retour à la source collective des émotions et des vérités constitue un acte d'humilité et d'amour.