Janusz Warminski - POLOGNE

Sophocle disait que parmi toutes les merveilles du monde aucune ne mérite autant d’admiration que l’homme. Deux mille cinq cents ans après, tant d’artistes, de philosophes, de souverains, d’hommes politiques ont adhéré à l’idée du grand poète grec. Nous pouvons dire que l’histoire de l’humanité est une histoire de l’évolution des droits de l’homme et la réalisation de la vision humaniste du monde. Cependant, aujourd’hui, en ce 20ème siècle finissant, c’est l’avenir de l’homme qui nous inquiète et nous angoisse. En effet, il n’y a pas de jour qui ne porte à notre connaissance des actes de plus en plus cruels de violence et de terreur, des tensions dangereuses et des conflits armés. Chaque jour nous sommes témoins de la haine croissante d’un homme pour un autre, de l’intolérance réciproque, de la violation brutale des droits de l’homme, ce qui, dans les relations internationales, se traduit par des menaces de catastrophe. L’humanité semble saisie par la fièvre de l’autodestruction. Cherchant à prévenir ces catastrophes, on a recours à une thérapie tragique et paradoxale : luttant pour le maintien de la vie, on en sape les racines, déclarant la paix, on déploie la démente spirale des armements, protégeant la liberté des peuples, on viole la souveraineté, proclamant solennellement la Charte des droits de l’homme, on foule chaque jour aux pieds la dignité humaine.

La Constitution de l’UNESCO constate que les guerres naissent dans l’esprit de l’homme et que c’est dans son esprit qu’il faut édifier la paix, une paix durable, fondée sur la solidarité intellectuelle et morale de l’homme. Où est la réalité ? Depuis 35 ans, dès la fin de la Seconde guerre mondiale, les crédits à la culture et à l’art diminuent d’année en année, au fur et à mesure qu’augmentent les dépenses destinées aux armements. Pourtant c’est la culture et l’art, ce sont les artistes, qui sont appelés à prévenir la dégénérescence de l’homme. La culture seule permet de maintenir un équilibre entre le progrès technique et le développement intellectuel et moral de l’humanité. L’art est la conscience de l’individu et de la société. Depuis ses origines, le théâtre est toujours engagé dans le débat de l’âme humaine partagée entre le bien et le mal, il stigmatise le mensonge et l’hypocrisie, la violence et la soif du pouvoir, l’orgueil et l’égoïsme. Depuis Eschyle jusqu’aux écrivains et gens de théâtre d’aujourd’hui en passant par Shakespeare, Molière, Ibsen, Tchékhov, Brecht et Beckett, l’art dramatique tente de percer le mystère de l’existence humaine. De trouver la clef de la conscience et de l’âme pour protéger la vie et la dignité de l’homme.

“ Le théâtre n’est théâtre que dans la mesure où il reflète la vie et son époque. Il n’est théâtre que s’il a appris à connaître l’âme complexe de son public, s’il sait mettre en lumière ses problèmes moraux, s’il sait juger sa conscience et lutter pour ses droits “ - disait l’un des plus grands hommes de théâtre polonais Leon Schiller. Créer un tel théâtre c’est le devoir de l’artiste contemporain. Dans un tel théâtre la sensibilité morale des hommes étouffée par le monde qui nous entoure, est capable de ressusciter. Un tel théâtre engendre la solidarité intellectuelle et spirituelle du public. La XVIII ème Journée Mondiale du Théâtre, en cette année 1980, nous devons la célébrer sous la devise : “ Le Théâtre-défenseur de la paix et de la dignité de l’homme ”. Elle nous offre l’occasion d’inviter les gouvernements du monde entier à conférer au théâtre sa place imminente dans la nation, partout où il ne l’a pas encore et de lancer un appel pour un monde dans lequel ni Antigone, ni Hamlet, ni Roméo, ni Juliette ne seront plus voués à la mort, pour un monde où rien ne mériterait autant d’admiration que l’homme.