Humberto Orsini, Metteur en scène, auteur et pédagogue vénézuelien

Quand les hommes ont créé les dieux et commencé à dialoguer avec eux, naquit la première notion du théâtre. Plus tard, les hommes partis à la recherche du bonheur spirituel, ont fait appel au théâtre afin d'aller à la rencontre de la source de la vie. Surgit dès lors le conflit entre fiction et réalité, entre être et non-être, entre vérité et mensonge, entre vivre et représenter, entre lumière et ténèbres. Engagés dans cette lutte paradoxale, ils ont découvert que derrière le mensonge se trouvait la vérité, derrière la mort gisait la vie, derrière la fiction se cachait la réalité et , enfin, derrière cette glace concave et apparemment déformante qu'est le théâtre se trouvait l'image pure de l'homme.

Le merveilleux acte d'amour et de passion qu'est le théâtre a eu l'heureuse vertu de découvrir à travers l'homme quelconque l'homme universel, de nous révéler le mécanisme de l'être caché derrière le masque du mensonge, de nous dévoiler l'image cruelle et impitoyable des puissants et la passivité pas toujours résignée des opprimés, et enfin d'historiser les événements les plus significatifs dont l'homme a été le protagoniste.

En s'efforçant de bâtir des mondes différents de ceux déjà connus, les hommes ont inventé les utopies et ont donné libre cours aux rêves, mais parfois "les rêves restent des rêves" et au réveil les rideaux de l'imagination tombés, ils se sont retrouvé confrontés à un monde réel aux bienfaits incontestables, mais où l'homme se trouvait piégé dans un filet de réalités terribles et douloureuses.

Seules les œuvres qui ont su interpréter leur temps et l'essentiel de l'homme, et su plonger à l'épicentre des secousses sociales, ont pu franchir les barrières du temps, des idéologies et des pensées pour parvenir jusqu'à nous. Elles vivent encore chaque soir sur les scènes mondiales. En revanche, celles restées à la périphérie, qui se sont données aux jongleries intellectuelles, ont été délayées par le temps ou reposent sur les étagères poussiéreuses des bibliothèques.

Aujourd'hui, le théâtre semble s'être éloigné de la possibilité d'interpréter notre temps et les tourmentes sociales et humaines que nous subissons aussi bien localement qu'à l'échelle planétaire. Il est clair que le théâtre ne fait pas les révolutions, mais il aide les hommes à les comprendre et à les animer.

En ce 27 mars 1995, je me permets d'inviter les hommes de théâtre du monde à redonner à celui-ci son merveilleux pouvoir de distraire, d'émouvoir les cœurs, d'éveiller les consciences face aux terribles inégalités dans lesquelles vivent les hommes de la planète, de contenir la rage des conquérants de la patrie d'autrui. Que le théâtre nous transporte, ne serait-ce que pour quelques heures dans ce monde toujours inconnu qui gît au fond de notre être et qu'il découvre chaque jour de nouveaux langages pour un dialogue encore plus efficace de l'homme avec l'homme.