Arturo Uslar Pietri – écrivain, Prix des lettres “ Principe de Asturias ” 1990 (Espagne),Prix international du Roman “ ROMULO GALLEGOS ” 1991 (Vénézuela)

Le théâtre, c'est pour l'homme une autre manière de vivre, une manière différente d'être et de se réaliser, de se regarder soi-même et de se remettre sans cesse en question. C'est là son immense vertu et son irremplaçable fonction. Il suffirait de jeter un regard, aussi superficiel soit-il, sur le monde grec pour s'apercevoir de ce qu'est le théâtre – ce que les Grecs entendaient par théâtre et qui n'a rien à voir avec ce que nous désignons sous ce vocable de nos jours – et de ce qu'il représentait dans leur vie. Il ne s'agissait pas simplement d'une "catharsis" potentielle apte à libérer l'esprit de ses impuretés et de ses conflits, mais d'une autre façon de se réaliser sans qu'une distinction très marquée n'apparaisse entre ce qui relèverait du théâtre et ce qui procéderait de la vie.

Les grandes heures du théâtre ont été précisément celles où il s'est apparemment converti en vie authentique et en expérience réelle. N'oublions pas que le théâtre, qui allait disparaître en Occident avec le Monde antique, resurgit, comme par magie en tant qu'élément du culte religieux. Jusqu'à la Messe qui ne soit une forme de drame liturgique. C'est ce qui fait que le théâtre paraisse intemporel, et que nous puissions aujourd'hui, au gré des circonstances, revivre le "Prométhée" d'Eschyle, le "Hamlet" de Shakespeare ou "La Vie est un Songe" de Calderon.

J'ai vécu voici longtemps l'étonnante expérience d'assister, à la comédie Française, à la transposition de "La Paix" d'Aristophane en une actualité vivante. C'était l'époque où les nuages annonciateurs de la Guerre Mondiale s'accumulaient à l'horizon, om le fascisme brandissait son poing de fer ganté, et où on vivait littéralement une veillée d'horreur indéfinie. Par la magie du Théâtre que lui seul peut susciter, ces anciennes paroles et la scène antique prenaient un tour réel et ce que disaient les comédiens n'en était pas moins la pensée de toute l'assistance en cet instant inoubliable.

Là est précisément la grandeur unique du théâtre et son incomparable aptitude à survivre, dans toutes ses potentialités par delà les distorsions et les avilissements qu'un Monde, par trop frivole, lui aura imposés. Partout dans le monde, chaque fois qu'un être authentique se confronte avec la vie, peut-être pourrait-on ressentir que le rideau se lève.