Antonio Gala - Président du Centre espagnol de l’IIT
L’Institut international du théâtre célèbre aujourd’hui la Journée Mondiale du Théâtre. Mais comment acquitter en une simple journée de reconnaissance la dette contractée par nous tous envers le Théâtre ? Ce Théâtre, qui nous aura tant aidé, tout au long de l’Histoire de l’Humanité ? Il nous a servi d’arme et de bouclier. Il a maintenu l’homme, depuis sa peu tendre enfance, dans la fascination de sa magie et de son dédoublement. Il a été – et demeure – le carnaval qui démasque et le déguisement qui révèle ; la main exigeante qui dresse, face qu visage qui s’ignore, sa reproduction plus ou moins aimable. Il a réconforté l’être humain, le libérant de ses contradictions, lançant un énorme éclat de rire au visage de ses oppresseurs, réduisant à leur dimension de créatures les terribles dieux inventés par l’homme – pour craindre ou pour aimer. Il a approfondi notre connaissance de nous-mêmes ; peut-être la plus ardue, la plus longue et la plus fertile des tâches. Il a apaisé les désespoirs, éveillé les fantaisies, corrigé les excès, fustigé les puissants, apporté l’espoir aux humbles.
Chaque peuple, à travers les siècles, exprime par le Théâtre sa vision de la vie et son attente de la mort. Par le Théâtre, chaque peuple a élaboré ses propres signes d’identité. Car l’identité d’un peuple n’est pas marquée par son histoire, mais par la sagesse et les enseignements qu’il en tire. Et de même que l’Art est, à ma connaissance, la voie la plus haute d’assimiler l’Histoire, de même serait-il pratiquement impossible de trouver art plus collectif, plus participatif que celui du Théâtre et de ses resplendissantes projections.
Aujourd’hui, comme toujours, et peut-être plus que jamais, le Théâtre dépend de la société dans laquelle il naît et à laquelle il est destiné. Aussi, mes chers amis du monde entier, entretenons pour elle le feu sacré du Théâtre. Que chacun élabore son propre théâtre et manifeste en sa faveur. Car c’est dans chaque peuple qu’il puise ses origines, qu’il grandit et qu’il s’épanouit. C’est chaque peuple qu’il représente. Et si vous le voulez : il ne mourra pas. Soyez vous-mêmes responsables de sa vie et de son destin : il n’attend rien d’autre. De la diversité jaillira notre richesse ; des différences – notre fraternité.
Voilà pourquoi ensemble, tous ensemble, nous devons forger avec foi l’esprit des hommes qui auront à nous succéder. Laissons-leur ouverts les chemins vers la paix, préparés les scénarios de la paix, affinée l’ouïe, vaillant et sincère l’élan, vivace ce sentiment de paix. Que nos successeurs ne croient pas que nous aurons consenti à la déroute de notre théâtre par inculture, ni à sa trahison par paresse, mesquinerie, désenchantement ou ressentiment. Le Théâtre a été, est et sera comme une patrie, comme une religion, comme une culture commune réunissant tous les peuples du monde. Aussi engageons-nous – en cette Journée Mondiale – à le défendre ensemble pour embellir, dès aujourd’hui, notre lendemain ; lendemain qui durera – espérons-le – bien plus longtemps que nous-mêmes.