50ème anniversaire 1948 - 1998 Message international à l’occasion de la Journée Mondiale du Théâtre
Il y a 50 ans naissait à Prague l’INSTITUT INTERNATIONAL DU THEATRE à l’initiative de l’UNESCO et d’une poignée d’hommes et de femmes de théâtre.
Nous avons pensé cette année, à l’occasion de la Journée Mondiale du Théâtre, nous arrêter sur cette période, et de relire aujourd’hui tous les messages prononcés depuis le début de la célébration de cette journée. Nous pouvons suivre ainsi le parcours entrepris par notre conscience à travers tous les bouleversements politiques et sociaux que le monde a connu depuis le début de notre organisation. De la lutte contre tous les totalitarismes, pour la liberté d’expression en passant par l’engagement contre l’apartheid, et la solidarité avec les femmes et les hommes de théâtre de Sarajevo, jusqu’à l’avènement de la civilisation du “ Village global ” et aux nouvelles difficultés de cohabitation et de compréhension mutuelle qu’elle a engendrées, les artistes et les poètes ont toujours revendiqué aux quatre coins du monde l’importance du Théâtre en tant que lieu de dialogue.
Saadallah WANNOUS (1996) :
“ Soif de dialogue, dialogue pluriel, complexe et tout à la fois global. Dialogue entre les individus, dialogue entre les groupes. Un dialogue qui exige évidemment au préalable une réelle démocratisation, le respect du pluralisme et le refoulement des tendances belliqueuses chez les personnes et les nations. Quand je ressens cette soif et prends conscience de sa force et de sa nécessité, je vois ce dialogue débuter au théâtre, puis ondoyer, s’étendre et se développer, englober les peuples et les cultures de l’univers dans leur différence et leur diversité..... ”
Miguel Angel ASTURIAS (1968) :
“ Où il y eut théâtre, des paroles restent : les paroles du dialogue de l’homme avec les dieux, de l’homme avec le monde, de l’homme avec l’homme : les paroles d’un dialogue immortel....Aux quatre horizons de la planète, les gens de théâtre, de tous les théâtres, effaceront à cet instant les frontières ; ils oublieront races, nationalités, croyances : ils uniront leurs volontés en faveur de la paix comme exigence suprême et unique en cette heure de conflits sans précédent.... ”
C’est ce chemin vers l’homme qui se dessine au fil des décennies, la recherche des sentiments humains au delà des différences culturelles et politiques.
Jean Louis BARRAULT (1964) : “ Le pouvoir essentiel du théâtre et de mettre de côté tout ce qui sépare les hommes : différence de race, d’éducation religieuse ou politique, différence de langage, et, en revanche il met en valeur tout ce que les hommes ont de commun: le rire et les larmes, la joie et la tristesse, le bonheur et l’angoisse, bref, ce qui est du domaine du coeur. Le Théâtre fait apparaître le coeur commun de tous les hommes, c’est en cela qu’il est le plus efficace véhicule de paix...... ”
Arthur MILLER (1963) : “ L’humanité a toujours honoré précisément les oeuvres qui révèlent ce qu’il y a d’universel dans l’homme........ ”
Mais dans le contexte politique de l’époque, Arthur Miller poursuit :
“ ...l’ironie suprême réside dans le fait que comme nous nous sentons la proie de forces destructrices implacables, nous ne puissions trouver ce que nous avons toujours exigé de nos héros tragiques, c’est à dire l’instant de la réconciliation, un moment d’acceptation, sinon de résignation, une fraction de seconde durant laquelle nous reconnaissions que la cause de tout cela ne se trouvait pas dans les astres qui nous gouvernent mais au fond de nous-mêmes... C’est pourquoi il nous faut avoir un théâtre, car avant tout le théâtre situe l’homme au coeur du monde...... ”
Le message que les artistes envoient au monde pendant les années de guerre froide est d’être tous ensemble pour la paix, pour la liberté, contre le sentiment d’une fracture irréparable.
Helen WEIGEL (1967) rappelle : “ Nous, gens de théâtre, contribuons avec les moyens qui nous sont propres, à rendre enfin habitable notre planète...... ”
Ellen STEWART (1975) souligne : “ Malgré les craintes que j’éprouve pour nos vies et notre avenir, je me réjouis parce que je sais que, déjà, les gens de théâtre ont commencé à se tendre la main autour du monde...... ”
Mais en 1976, Eugène IONESCO affronte ouvertement le problème de la censure dans un message qui souleva de nombreuses polémiques et qui ne pût être lu dans tous les pays, ce qui démontre combien le chemin de la compréhension restait obstrué :
“ La vérité est dans l’imaginaire. Le théâtre d’imagination est un théâtre de la vérité authentique, authentiquement documentaire. Le document n’est jamais libre, pour la simple raison qu’il est aprioriquement orienté. L’imagination ne peut mentir. Elle est révélatrice de notre psychologie, de nos angoisses permanentes ou actuelles, des préoccupations de l’homme de toujours et d’aujourd’hui, des profondeurs de l’âme.......un artiste à qui l’on veut enlever la liberté imaginative est un homme aliéné...Le théâtre est une construction de l’imagination en liberté...L’art dit-on n’a pas de frontières. Le théâtre ne doit pas en avoir. Au-delà des divergences idéologiques, castes, races, nationalismes, patries particulières, il doit être la patrie universelle......Pas de consignes pour les créateurs ! Pas d’instructions à recevoir des gouvernements !....... ”
Mais les barrières extérieures ne sont pas les seules qu’il faut abattre pour atteindre la liberté.
En 1993, Edward ALBEE semble répondre à Ionesco.
“ Il est possible de bannir de la planète tout gouvernement par simple décret - tout au moins on peut tenter de le faire - nous pouvons nous débarrasser notre pensée de tout contrôle extérieur - nous pouvons au moins essayer - mais nous resterons soumis au contrôle le plus écrasant de tous, l’autocensure d’un individu, réticent (ou trop irrésolu) pour s’engager dans la terrifiante et impressionnante démarche vers la plénitude de sa propre conscience... Rappelons nous que le théâtre peut changer le Monde tel que nous le percevons, tel que nous nous permettons de le percevoir. Rappelons nous que les limites du théâtre ne sont que les limites que nous lui imposons...les limites que nous nous fixons à nous-mêmes....... ”
Déjà en 1971, Pablo NERUDA, fleurant l’esprit et les inquiétudes de son époque, sentait que le temps était venu pour le théâtre de chercher des réponses nouvelles. :
“ Je crois qu’entre pareilles fluctuations oscille notre époque, entre la vérité qui nous laisse insatisfait et une espérance qui n’est pas encore exaucée. Le théâtre a rompu la coque d’un énorme oeuf d’autruche : nous attendons assis, les hommes, du premier au dernier rang, que le nouvel oiseau se mette à courir, à voler...... Il est clair que les murailles se sont écroulées et que dans les sept îles des sept mers qui forment le monde, tous veulent construire, tous veulent connaître et reconnaître, tous nous voulons nous voir dans le théâtre tels que nous fûmes et tels que nous serons. .... Je me hasarde cependant à penser à ce que nous aurons tous en commun : un théâtre simple mais non simpliste, critique sans être inhumain, un théâtre sans limitation qui avance comme un fleuve des Andes, imposant partout ses propres limites ....... ”
Et puis nous avons vu finalement l’oiseau voler, les murailles se sont écroulées pour de vrai. L’entêtement de la communauté théâtrale internationale, des artistes, des écrivains, qui ont continué à se battre pour réveiller la conscience du monde trouvait là son aboutissement.
En 1986, Wole SOYINKA, alors Président de l’IIT, invite les gens de théâtre du monde entier à proclamer cette année-là : Année du Théâtre Universel contre l’apartheid.
“ Il ne suffit plus de se tenir passivement à l’écart de cette enclave raciste, mais les hommes et les femmes de théâtre doivent consacrer une part de leur génie créateur à faire prendre conscience de cette réalité à leurs peuples et à leurs autorités publiques, à forger un sentiment d’identification avec cette communauté violentée... ”
Puis un nouveau monde est apparu. Mais la globalisation qui a suivi l’effondrement de différents systèmes politiques a mis les sociétés, les artistes face à des problématiques nouvelles.
Aussi Vaclav HAVEL écrivit-il en 1994 : “ ....Le Monde est en train de devenir réellement multiculturel et multipolaire et cherche un ordre nouveau, juste et approprié à son époque....La conséquence en est une tension dramatique dans le monde d’aujourd’hui. En maints endroits de notre planète on s’oppose à la cohabitation des uns avec les autres et pourtant, notre seul espoir n’est rien d’autre que de parvenir à une telle cohabitation. Dans la civilisation déshumanisante et technique d’aujourd’hui, le théâtre est un des îlots importants de l’authenticité humaine. Il est précisément, si ce monde ne doit pas mal finir, ce qu’il faut absolument défendre et cultiver....Seul l’homme, avec sa responsabilité renouvelée et sa conscience des concordances peut faire face aux dangers qui menacent le monde et aucun réseau d’ordinateurs, les plus sophistiqués soient-ils, ne peut se substituer à lui. L’espoir du Monde repose sur la réhabilitation de l’être humain......
Et Jeong Ok KIM en 1997, de poursuivre : “ Au vingtième siècle, l’être humain a découvert le progrès éclatant des domaines matériels et techniques, qui a profondément bouleversé notre société. Mais il n’a pu faire disparaître la pauvreté et la faim. Il n’a pu éviter les conflits et les guerres. Et nous nous désespérons parfois de notre impuissance devant cette triste réalité. Que pouvons nous faire ? Que peut faire le théâtre ?....... La situation tragique à laquelle nous sommes arrivés est le fruit de l’étroitesse du dogmatisme et de l’intolérance. Nous pensons que le théâtre peut être une des réponses pour guérir cette maladie. C’est pourquoi nous croyons à l’importance de l’écoute attentive des paroles des acteurs du théâtre plus qu’à celle des discours des hommes politiques ou à celle des savants théoriciens. ....Il nous faut garder à l’esprit que nous sommes en train de préparer un nouveau millénaire, et qu’il nous faut créer un Nouveau Monde...... ”
A la relecture de tous ces messages, nous voyons que si les circonstances historiques changent, le combat demeure le même, comme aussi reste solide la conviction que le Théâtre est celui qui a permis de rapprocher les hommes par le dialogue, et qu’il ne peut cesser de le faire.
Peter BROOK, en 1988, résumait ainsi le rôle de l’IIT : “ Le travail d’unir et d’informer les gens de théâtre sur l’existence des uns et des autres procède de la même logique que les missions de l’UNESCO ou des Nations Unies. Peut-être que la qualité essentielle de l’IIT durant toutes ces années aura été que sa vérité naisse à partir de toutes les interactions et combinaisons qu’il a rendu possible à travers les cultures du Monde........ ”
Pour terminer laissons la parole à Jean COCTEAU (1962), premier rédacteur du message de la Journée Mondiale du Théâtre :
“ Les peuples, grâce aux journées mondiales du Théâtre, prendront enfin conscience de leurs richesses respectives et collaboreront à une haute entreprise de Paix.....
Que ces messages du Passé nous confortent à prendre conscience du combat qui fut livré afin de le poursuivre inlassablement.......